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Rita Charon : « La médecine narrative permet de “lire dans son patient” »

Médecin interniste et passionnée de littérature, Rita Charon a obtenu un doctorat de littérature consacré à Henry James à l’université Columbia (New York). C’est à elle que l’on doit le terme de médecine narrative, en 2001. Cette discipline présuppose que toute construction de récit est au centre de toute relation soignant-patient. En 2006, elle a publié Narrative Medicine. Honoring the Stories of Illness (traduit en français, en 2015 : Médecine narrative. Rendre hommage aux histoires de maladies, Sipayat). En 2009, elle a créé le master of science in narrative medicine, qu’elle dirige toujours.
Quand j’ai commencé à pratiquer la médecine, il m’a fallu un certain temps pour prendre conscience que mes patients me payaient pour écouter leur histoire, car l’essentiel de la prise en charge d’une personne malade est de comprendre ce qu’elle vous dit. Je suis alors retournée à l’université pour étudier la littérature, afin d’apprendre à me plonger dans les récits de mes patients, à écouter profondément et attentivement ce qu’ils me disaient, avant de savoir exactement de quoi il souffrait.
Quelques professeurs nous ont appris à développer des relations avec les patients et à comprendre ce qu’ils vivent dans la maladie. Mais l’accent n’était pas mis sur ce sujet. Aujourd’hui, nous faisons beaucoup mieux, et toutes les écoles de médecine enseignent aux étudiants quelque chose sur la relation médecin-patient. Pendant mes études, j’ai évidemment appris à reconnaître et à soigner telle ou telle maladie, j’ai beaucoup travaillé la technique, mais personne, à la faculté de médecine, n’apprend aux étudiants à écouter ce que le patient renvoie. Il y a des mots, mais aussi tout ce qui ne s’entend pas : des expressions du visage, des gestes de peur ou d’humeur… C’est pourquoi l’étude de la narration m’est devenue essentielle, parce que le récit devenait le pont entre le patient et moi.
Certains de mes collègues sont profondément engagés dans la compréhension de la vie de leurs patients. Mais, malheureusement, nombre d’entre eux n’ont ni le temps ni la formation nécessaire pour le faire correctement. Ils le font, mais de façon trop limitée. La médecine a fait énormément de progrès, mais je pense que les médecins ont perdu la relation avec leurs patients. Les mots, les histoires, créent cette relation. Or, trop souvent, l’entretien se résume aux symptômes : « Depuis quand êtes-vous essoufflé ? Avez-vous mal à l’épaule ? » Et dès que les patients parlent de leur vie, les médecins ne prennent pas le temps de les entendre.
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